Charles-Ovide Perrault : le héros de Saint-Denis

Né à Montréal le 24 septembre 1809, Charles-Ovide Perrault est le fils de Julien Perrault, un boulanger, et d’Euphrosine Lamontagne. Il est baptisé le jour même en la paroisse Notre-Dame. Il est le frère cadet de Louis Perrault, célèbre imprimeur du Vindicator, et neveu d’Austin Cuvillier. Il est par ailleurs l’oncle maternel de Mgr Fabre, premier archevêque de Montréal. Le 25 juillet 1837, il épouse à Montréal Mathilde Roy, alors âgée de 17 ans.

Il fait des études au petit séminaire de Montréal en 1818 et commence l’étude du droit en 1828, sous la tutelle de Denis-Benjamin Viger, puis avec Toussaint Peltier. Il est admis au barreau le 2 juillet 1832. Pratiquant à Montréal, le jeune avocat est associé à André Ouimet à partir de 1836, fréquentant de plus en plus, par le fait même, le milieu patriote. Donc, très jeune, il s’intéresse à la politique et à la lutte que mène le Parti canadien aux bureaucrates. Par exemple, lors de l’élection partielle en 1832, il est l’un des plus fervents partisans de Daniel Tracey, candidat patriote dans l’ouest de Montréal.

Le 4 novembre 1834, le jeune Perrault est élu par acclamation député dans la circonscription de Vaudreuil. Faisant partie d’une nouvelle génération de députés, jeunes et plus radicaux tels La Fontaine, Morin, Rodier, Côté, O’Callaghan et les frères Nelson[1]. En Chambre, il prend part à toutes les questions importantes. En faveur des 92 Résolutions, il se montre surtout le défenseur de l’agriculture et de l’éducation, l’avocat dévoué de toutes les causes qui ont pour objet le progrès moral et matériel de ses compatriotes[2]. En ce sens, la session de 1836 reste célèbre par ses séances orageuses. D’après Robert-Lionel Séguin, Perrault se montre particulièrement agressif et mordant. Ses répliques sont cinglantes et le gouverneur a beau lui faire remontrance sur remontrance, rien n’intimide le jeune parlementaire[3]. D’après David, « il excelle à faire ressortir dans un langage clair, précis et énergique tous les arguments intrinsèques ou substantiels d’une question[4] ». Il fréquente aussi les milieux intellectuels de Montréal, comme la librairie d’Édouard-Raymond Fabre, en compagnie des Cherrier, Papineau, La Fontaine et Cartier.

Écrivant des articles dans les journaux patriotes tels La Minerve et le Vindicator, Perrault assiste au premier banquet organisé par Ludger Duvernay pour la Société Saint-Jean-Baptiste, en juin 1834. Il participe généralement en qualité d’orateur, d’organisateur ou de proposeur à plusieurs assemblées patriotes (une cinquantaine), entre 1834 et 1837, partout au Bas-Canada. Parmi celles-ci, il met sur pied un Comité central et permanent pour le district de Montréal, lors d’une convention en ce lieu, le 7 avril 1834[5]. Il assume, avec le docteur Edmund Bailey O’Callaghan, la fonction de secrétaire permanent, en assurant la continuité des activités du comité, ses conventions et procès-verbaux, etc. Il rédige et imprime notamment une circulaire, avec une lettre de couverture signée de sa main, à l’intention des comités centraux des divers comtés[6]. Il fait aussi un discours en faveur des 92 Résolutions lors d’une assemblée tenue à Sainte-Marguerite-de-Blairfindie, dans le comté de l’Acadie, le 30 avril 1834[7]. Il est l’un des organisateurs de la grande assemblée de Saint-Laurent, le 15 mai 1837. Il fait un autre discours durant une assemblée, tenue le 6 août 1837 à Vaudreuil, où il recommande de boycotter l’achat de produits britanniques, en particulier le vin, le rhum et autres boissons[8]. C’est la dernière fois qu’il parle publiquement à ses électeurs. On le retrouve finalement à la grande assemblée des Six-Comtés, tenue à Saint-Charles le 23 octobre 1837, où il prend part à la rédaction des résolutions adoptées par celle-ci.

De plus en plus actif au sein du parti patriote, il est nommé membre honoraire de l’association des Fils de la Liberté, le 5 septembre 1837[9]. En fait, il est officier subalterne dans l’organisation en compagnie d’Édouard-Étienne Rodier, de George-Étienne Cartier et de John Macdonell. Suite aux mandats d’arrestation émis par le gouverneur à la mi-novembre 1837, il prépare la fuite de son beau-frère, Édouard-Raymond Fabre, et contribue également à assurer celle de Papineau et d’O’Callaghan[10]. On le prévient que sa tête est elle-même mise à prix. Il quitte alors Montréal, déguisé, afin de rejoindre la famille de Fabre à Lavaltrie et se rend avec celui-ci à Contrecœur et à Saint-Antoine, d’où il traverse le Richelieu pour finalement atteindre Saint-Denis. À cet endroit, il se met sous les ordres du docteur Wolfred Nelson qui le nomme aussitôt aide-de-camp et prépare la résistance des patriotes du village.

Le 23 novembre 1837, lors de la célèbre bataille de Saint-Denis, la conduite de Perrault est controversée chez les historiens. Quoi qu’il en soit, pendant l’affrontement, il est retranché avec Nelson et d’autres insurgés dans la grande maison Saint-Germain. Vers 11 h 15, voyant des guetteurs patriotes, retranchés dans une bâtisse voisine, s’exposer inutilement devant l’ennemi, Perrault prend l’initiative (ou reçoit l’ordre de son chef) d’aller les avertir du danger. « S’élançant par la porte, il s’écroule après à peine quelques pas, mortellement blessé[11] ». D’après Fauteux, il est frappé de deux balles : l’une au talon et l’autre à l’abdomen[12]. Il se traîne alors jusqu’à la maison Deschambault, où une vieille femme le soigne[13].

Durant la bataille, un boulet perce le toit de la demeure et tombe près de son lit. Puis, dans la soirée, le curé Demers, de Saint-Denis, retrouve le député de Vaudreuil qui le reconnaît. Lorsqu’on lui apprend la victoire de ses compatriotes, il répond : « Dieu soit béni ! Je ne regrette pas d’avoir sacrifié ma vie pour la liberté de mon pays[14]. » Il meurt à Saint-Denis dans la nuit du 23 au 24 novembre 1837, à peine âgé de 28 ans. En raison de sa témérité ou d’un ordre imprudent de son chef, il est le seul chef patriote à être tué au sud du Saint-Laurent. Il est inhumé le lendemain, à Saint-Antoine, dans le caveau de l’église paroissiale.

Dans son ouvrage sur Les Patriotes de 1837-1838, Laurent-Olivier David souligne le caractère et le tempérament du martyr de Saint-Denis. Doué d’un jugement solide et d’un esprit vif et pénétrant, Perrault est habile dans l’art de parler et d’écrire. Déjà, à 28 ans, il est un excellent avocat, un orateur estimé et considéré comme l’une des plus belles plumes de l’époque, avec Augustin-Norbert Morin. David remarque la force de son raisonnement, l’énergie de ses convictions et la distinction de son langage. Il est, selon plusieurs, un des plus beaux garçons de son temps : grand, bien fait et distingué dans sa figure comme dans ses manières[15]. Blond aux yeux noirs et au teint riche, Perrault a une physionomie sérieuse et réfléchie, mais empreinte de bienveillance. De nature chevaleresque, généreuse et enthousiaste, mais tempérée, maîtrisée par un esprit réfléchi par le sentiment du devoir et des convenances, il aime son pays et sa religion d’un égal amour. En fait, il est aussi bon chrétien que dévoué patriote[16].

Références :

BERNARD, Jean-Paul, Les Rébellions de 1837-1838, Montréal, Boréal Express, 1983, 350 p.

BERNARD, Jean-Paul, Assemblées publiques, résolutions et déclarations de 1837-1838, vlb Éditeurs, Montréal, 1988, 308 p.

BERNARD, Philippe, Amury Girod. Un Suisse chez les Patriotes du Bas-Canada, Sillery, Septentrion, 2001, 255 p.

DAVID, Laurent-Olivier, Les Patriotes de 1837-1838, Montréal, Éditions Beauchemin, 5e édition, 1936, 314 p.

FAUTEUX, Aegidius, Les Patriotes de 1837-1838, Montréal, Éditions des Dix, 1950, 433 p.

FILTEAU, Gérard, Histoire des Patriotes, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1er trimestre 1975, édition originale parue en 1938, 495 p.

La Minerve, 14 avril 1834, 1er mai 1834, 19 mai 1834, 2 octobre 1834, 11 mai 1837, 23 juin 1837, 24 juillet, 1837, 10 août 1837, 7 septembre 1837, 11 septembre 1837 et 30 octobre 1837.

LAMONDE, Yvan, Histoire sociale des idées au Québec (1760-1896). Volume 1, Montréal, Fides, 2000, 572 p.

Le Canadien, 9 juillet 1834, 10 septembre 1834 et 27 juillet 1835.

Le Populaire, 28 juin 1837.

Montreal Gazette.

PAPINEAU, Amédée, Journal d’un Fils de la Liberté 1838-1855, Québec, Septentrion, texte établi avec introduction et notes par Georges Aubin, 1998, 957 p.

PAPINEAU, Louis-Joseph, Lettres à Julie, Québec, Septentrion, texte établi et annoté par Georges Aubin et Renée Blanchet, 2000, 812 p.

RICHARD, Dr Jean-Baptiste, Les événements de 1837 à Saint-Denis-sur-Richelieu, Société d’histoire régionale de Saint-Hyacinthe, documents Maskoutains no 2, 1938, 47 p.

SÉGUIN, Robert-Lionel, Le mouvement insurrectionnel dans la Presqu’île de Vaudreuil 1837-1838, Montréal, Librairie Ducharme Ltée, 1955, 157 p.

SÉGUIN, Robert-Lionel, La victoire de Saint-Denis, Montréal, Parti Pris, 1964, 45 p.

SENIOR, Elinor Kyte, Les habits rouges et les patriotes, Montréal, VLB Éditeur, 1997, édition originale parue en 1985 sous le titre Redcoats and Patriots, 313 p.

SURVEYER, E. Fabre, Charles-Ovide Perrault (1809-1837), Ottawa, Mémoires de la Société Royale du Canada, troisième série, tome XXXI, 1937, p. 151-164.

The Vindicator, 4 avril 1834, 2 mai 1834, 20 mai 1834, 23 mai 1834, 30 mai 1834, 27 janvier 1835, 26 juillet 1836, 2 août 1836, 27 juin 1837 et 25 juillet 1837.


[1] LAMONDE, op. cit., p. 106.

[2] DAVID, Laurent-Olivier, Les Patriotes de 1837-1838, Montréal, Éditions Beauchemin, 5e édition, 1936, p. 170b.

[3] SÉGUIN, op. cit., p. 17.

[4] DAVID, 1936, op. cit., p. 170i.

[5] The Vindicator, 8 avril 1834.

[6] SENIOR, op. cit., p. 86.

[7] The Vindicator, 2 mai 1834.

[8] La Minerve, 10 août 1837.

[9] DAVID, 1936, op. cit., p. 170d.

[10] Ibid.

[11] SENIOR, op. cit., p. 125.

[12] FAUTEUX, op. cit., p. 350.

[13] SÉGUIN, op. cit., p. 29.

[14] DAVID, 1936, op. cit., p. 170j.

[15] Ibid., p. 170i.

[16] Ibid.

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